PORTRAITS DE CHINE
CHAPITRE 1
Professeur de français en Chine, professeur de chinois à Mons
Publié le 26 mai 2017
Guoxian Zhang est originaire d’un petit village près de Shanghai. Il décidera de vivre à Mons et de tout faire pour suivre son ambition : ouvrir un département universitaire pour apprendre le chinois aux Wallons. De l’arrivée des premiers Chinois dans notre pays, à la réussite et la reconnaissance, portrait d’un homme et du projet d’une vie.
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Guoxian Zhang a 27 ans lorsqu’il arrive en Belgique. Nous sommes en 1981. Diplômé d’un bachelier en langue et littérature françaises, il est alors professeur de français à l’Institut de Langues Étrangères de Shanghai. Mais vite, son mentor le pousse à partir vivre une expérience unique. « C’était déjà une époque d’ouverture vers le monde pour la Chine » se rappelle Guoxian, « L'Institut voulait envoyer des professeurs de différents domaines pour se perfectionner à l’étranger. J’étais parmi les premiers sélectionnés pour venir ici. ». Ici, c’est Mons, petite ville wallonne de presque 100 000 habitants.
Alors que la majorité de ses collègues sont envoyés en France, Guoxian s’est lui envolé pour l’aéroport de Zaventem. Il est dans un premier temps reçu à l’Ambassade de Chine. Il doit ensuite atteindre la cité du Doudou en train. Mais avant même de prendre la route, Guoxian vit sa première péripétie à la gare de Bruxelles-Midi : « On m’a dit : « vous devez aller à Mons ». Je cherchais donc « Mons », mais je ne trouvais pas « Mons ». Par contre, je trouvais « Mons-Bergen…» ». Sans le savoir, Guoxian était déjà confronté à une spécialité bien de chez nous : l’affichage des lieux en français et en néerlandais. « Je me demandais : « est-ce que c’est le même endroit ? » Je voulais « Mons », pourquoi « Mons Bergen », je voulais simplement « Mons » ! » Il finit par comprendre qu’en Belgique, en matière de langues, rien ne semble être simple…
Après une heure de trajet, le professeur arrive enfin à destination. Il n’est malheureusement pas accueilli de la meilleure façon : « je suis arrivé la veille de Noël, et il n’y avait vraiment personne pour demander mon chemin. Tout était fermé, même pas un chat. J’étais frustré ! ». En errant dans les rues, Il repère quelques restaurants chinois. « Je suis entré dans l’un d’entre eux et ça a été un véritable soulagement ! »
Un Chinois en Belgique,
c'était une drôle d'idée,
alors on me prenait pour un Japonais...
Quelques jours plus tard, Guoxian commence son stage de perfectionnement en français à l’Ecole d’Interprète de Mons. Ses collègues en profitent pour lui faire visiter la ville, bien différente de la mégalopole shanghaïenne aux 20 millions de citoyens d’où il arrive. « Vous imaginez la différence ! Quand on m’a présenté la Grand Place, je me suis exclamé étonné : AH, c’est ça le centre-ville ! ». Ses nouveaux collègues belges lui disent de caresser de la main gauche le Petit Singe, célèbre porte-bonheur de la cité montoise. À une époque où les échanges avec la Chine sont encore rares, le professeur de français est un objet de curiosité : « Les gens s’étonnaient : « Oh, un Chinois ! » Un chinois en Belgique, c’était une drôle d’idée, alors on me prenait pour un Japonais… Et comme je suis relativement grand, on me disait : « Un Japonais si grand ? » Et je répondais : « Non, non, pas Japonais : Chinois ! »»
De Chinois à Homme de Feuilles du Doudou
Après quelques mois d’acclimatation, Guoxian s’est finalement habitué au rythme de la ville. « J’ai bien aimé Mons. C’est une ville … disons, bien animée ! Et puis calme en même temps, comparée à Shanghai ! Alors maintenant quand je retourne en Chine, je suis frustré... il y a trop de bruit, je n’ai plus l’habitude ». ». Il s’intégrera au point qu’il aura le privilège de participer au Doudou de 1989 en tant qu’acteur. Il était Homme de Feuilles, chargé de transporter le Dragon durant tout le Combat du Lumeçon. Mais il doit bien l’avouer, il a encore quelques lacunes et maîtrise difficilement le Borain, le patois du coin.
À côté de son stage de perfectionnement, Guoxian Zhang donne des cours de chinois à l’UMons. Des cours qui lui donne une idée : créer un département de Chinois. Il existe déjà une dizaine de départements de langue, un par langue enseignée. Il pense que sa présence ici est une chance à saisir pour l’université, une occasion aussi de réaliser son souhait d’enseigner le chinois en Belgique. Malheureusement, la direction des années 80 n’était pas spécialement intéressée par le projet. « Il n’y avait pas encore de besoin d’apprendre cette langue, même pour le commerce, et puis il y avait des problèmes budgétaires ». Guoxian doit donc se contenter de donner des cours de chinois en option ou en cours du soir, jusqu’à son retour en Chine à la fin de son séjour de deux ans, une maîtrise en didactique des langues en poche.
Un pas de plus vers le département de langue chinoise
La cité montoise aurait-elle manqué à Guoxian Zhang ?En 1986, le professeur de français décide de revenir à Mons pour achever sa formation universitaire. Il obtient, cinq ans plus tard, son doctorat en sciences psychopédagogiques. « C’était vraiment en lien avec mon métier, puisque j’étais professeur de français et de chinois. Mon doctorat s’est redirigé vers la méthodologie de l’enseignement du chinois aux francophones. Cela m’a permis de créer une méthode d’apprentissage que j’utilise toujours aujourd’hui ». Guoxian donne à nouveau des cours de chinois, travaille comme traducteur interprète, et anime des conférences pour faire découvrir son pays d’origine. « C’était enrichissant pour les gens d’ici. Je pouvais être utile pour créer le lien entre la Chine et la Belgique ». Durant la décennie qui suit, il ne cesse de faire la promotion du chinois dès que l’occasion se présente : salons d’études et visites dans les écoles secondaires, entre autres. À partir de 1991, il s’installe définitivement en Belgique. « Il y avait du travail. L’enseignement de promotion sociale EPFC de Bruxelles m’avait déjà abordé pour organiser des cours de chinois. On avait besoin de moi. Voilà pourquoi j’ai décidé de rester. »
On avait besoin de moi.
Voilà pourquoi j'ai décidé de rester.
En 2005, Guoxian crée la Chine Académie à Bruxelles, en collaboration avec l’association Belgique-Chine. Une école de chinois qui devient le premier Institut Confucius fondé en Belgique l’année suivante. Guoxian en sera le directeur jusqu’en 2013. Cette année-là, l’UMons lui demande de devenir assistant des cours de chinois à option. Voyant naître une nouvelle fois l’opportunité de créer le département dont il rêve, le professeur d’origine chinoise démissionne de toutes ses fonctions à Bruxelles pour se consacrer entièrement à l'UMons.
Depuis sa première visite en Belgique, la Chine a changé, elle est en plein développement culturel et économique. Les relations belgo-chinoises sont de plus en plus importantes. Le 31 mars 2014, le président chinois Xi Jinping et des ministres belges ont signé onze accords bilatéraux. Concernant divers domaines, ils s’inscrivent dans le cadre du « partenariat global d’amitié et de coopération » qui unit les deux pays. Les transactions économiques se multiplient. Commercialement parlant, le besoin de l’apprentissage du chinois devient une réalité irréfutable pour les Belges. « C’est devenu un outil beaucoup plus concret. Il a ce côté beaucoup plus fonctionnel et pratique », constate Guoxian, « le chinois est désormais incontournable dans le monde ! ». Ce même constat a été réalisé par la direction de l’UMons : le département de Langue et de Culture chinoises naît au début de l’année académique 2015-2016, au sein de la Faculté de Traduction et d’Interprétation (FTI-EII). Guoxian est la personne toute trouvée pour en être le directeur. Un choix logique aussi, puisqu'il est le seul professeur de chinois de tout le campus montois. « Un directeur de département de langue dirige normalement une équipe de professeurs. Moi je remplis les deux rôles, puisque je suis seul ! ».
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Le département de chinois de l'UMons organise aussi des événements culturels,
car pour apprendre la langue il faut appréhender la culture.
« La culture et la langue sont toujours liées »
Le département de Langue et de Culture chinoises propose une formation de cinq ans, soit un bachelier puis un master, pour apprendre la traduction chinois-français-anglais. Du programme à l’organisation des cours, c’est à Guoxian Zhang de tout créer. Les étudiants inscrits à la formation sont majoritairement des jeunes Hennuyers. Ils sont au nombre de 33 en première année de bachelier pour cette année 2016-2017, contre 30 lors de sa création. Une faible augmentation qui conforte tout de même le directeur du département dans son idée. « Pour la région, c’est un bon début. Et puis cela va continuer : nous avons déjà fait quelques portes ouvertes et beaucoup de lycéens s’y sont présentés. Je pense que le nombre d’inscriptions va continuer d’augmenter ».
Contrairement aux autres départements qui s’intéressent uniquement à la linguistique, le département inclut la notion de culture. Un lien essentiel pour l’apprentissage du chinois selon le directeur. « Le métier de traducteur requiert des connaissances très vastes. Il faut toucher un peu à tout pour une avoir une culture générale et un vocabulaire suffisants ». C’est ainsi qu’à partir de la deuxième année de bachelier apparaissent des cours comme « Connaissance générale de la Chine » ou « Culture chinoise ». « Chaque fois qu’on apprend une langue, la culture vient avec, cela fait partie d’un ensemble. Ce n’est pas toujours explicite, mais la culture et la langue sont toujours liées. Ici, dans mon département, ce lien est visible et plus poussé. Je pense que la culture est vraiment nécessaire pour traduire correctement ».
Ce n’est pas toujours explicite,
mais la culture et la langue
sont toujours liées.
Avec la présence accrue de la Chine sur notre sol, par l’augmentation de partenariats sino-belges et l’installation croissante d’entreprises chinoises en Wallonie, cette formation peut représenter un véritable atout supplémentaire sur le CV d’un traducteur. « Il sera avantagé sur le marché du travail, de plus en plus d’entreprises recherchent des personnes qui connaissent la langue chinoise » explique Guoxian. Le chinois est aussi prisé dans d’autres domaines que le commerce, comme par exemple le tourisme. « Continuellement, nous avons des demandes du style : « des touristes chinois sont en visite, il nous faut quelqu’un pour traduire ». C’est un fait : les relations entre la Chine et la Belgique se développent en permanence. Il n’y a qu’à voir les centaines de Chinois qui débarquent à Liège ou encore les pandas de Pairi Daiza. « la Belgique doit se tenir prête ! »
Un épanouissement personnel
Outre l’opportunité professionnelle, l’apprentissage du chinois représente pour les étudiants un challenge personnel. « Le chinois est une langue difficile. Il faut vraiment être courageux. » En effet, la langue chinoise se distingue à l’oral et à l’écrit, il n’y a aucun lien entre les deux. La plus grande difficulté étant d’apprendre plus de 5000 signes chinois nécessaires à la traduction d’un texte. « L’expression française « C’est du chinois » est tout à fait justifiée ! ». De plus, les troisièmes bacheliers partent pour un séjour d’immersion dans une université chinoise, entre un quadrimestre et un an pour les meilleurs. À leur retour, ils ont doublé leur vocabulaire pour entamer leur première année de master. « Un « petit Belge » va toujours être très surpris par le rythme de vie d’une grande ville comme Pékin ou Shanghai. C’est une expérience que tout le monde n’a pas la chance de vivre ». Le département organise notamment des séances de cinéma en chinois sous-titré français, des visites au Centre culturel de Chine à Bruxelles, et même un Nouvel An Chinois au sein du campus. C'est un véritable enrichissement personnel et culturel pour ces jeunes. « Parce que la culture chinoise est très différente de la culture belge, quand les étudiants l’abordent, ils trouvent toujours des choses intéressantes. »
« Nous aurons toujours besoin de traducteurs »
Dans deux ans, le directeur de département prendra sa retraite. Son seul regret est de ne pas voir ses premiers étudiants sortir diplômés de l’université. « Personnellement, je trouve que cette décision (la création du département, ndlr) a été prise tardivement : je suis là depuis 30 ans tout de même ! » rit le sexagénaire. « Globalement, je suis satisfait. Je vois enfin l’aboutissement des 30 années passées dans ce département. Finalement, on ne m’a pas oublié ». Son programme de cours presque complété, il ne reste qu’un seul problème à résoudre : lui trouver un successeur. « Comme c’est un poste de chargé de cours, il faut impérativement un docteur en langue. Ils sont plutôt rares sur le marché... Je n’ai pas eu le temps de former ma propre relève. ».
Côté famille, Guoxian a fondé la sienne en Belgique, il est d’ailleurs naturalisé belge. Cependant, sa sœur, son frère et sa mère sont encore en Chine. « Ça fait tellement longtemps que je ne me suis pas occupé de ma mère. Si elle est toujours en bonne santé, la première chose que je dois faire est d’aller plus souvent en Chine pour prendre soin d’elle. »
Jusqu’à son départ, Guoxian continuera à donner cours à ses différentes classes. « Nous aurons toujours besoin de traducteurs. Mon rôle et celui de mon successeur sera de former la nouvelle génération. Et ce n’est pas le boulot qui manque ! »
Une histoire racontée Aurélie Delvallée.
CHAPITRE 2
Une amitié sino-belge,
le long de la route de la soie
Publié le 2 juin 2017
À Bruxelles, à l’occasion de la semaine du Patrimoine immatériel chinois, le Centre Culturel de Chine propose une série d’activités. L'occasion de réaffirmer les bonnes relations entre la Chine et la Belgique. L’exposition « Festin le long de la route de soie : exposition des arts de la table et du design d’objets culinaires de Chine » accueille ses premiers visiteurs. Elle expose le paysage de la table et les repas du peuple à travers les créations d’une série d’artistes et de designers contemporains chinois.
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Les langues s'entremêlent dans le hall du centre culturel. Belges et Chinois se réunissent en ce mois de juin pour célébrer l’amitié entre leur deux pays. Sur les tables, spécialités culinaires chinoises et chocolats belges sont offerts à la dégustation. Un mélange de saveurs à l’image de la communauté chinoise de belgique. Elle a trouvé en ce lieu, ouvert depuis bientôt deux années, un carrefour entre ses racines et le plat pays qui est le nôtre…
«Qualité, Popularité, Amitié et Coopération»,
voici les quatre principes du centre.
En ce jour d’inauguration, deux artisans, tout droit venus de Chine, présentent une méthode traditionnelle de teinture de tissus. L’art est connu sous le nom de Batik ou impression à la cire. Les invités découvrent le processus de ces colorations. D’abord, les artisans fixent à l’aide d’élastique et de cordelettes leur tissu vierge sur un bâton. Le pliage est tel qu’il est censé se dévoiler en un motif. Ils trempent ensuite leur montage dans une eau froide où baignent des colorant à base de plantes naturelles. Après quelques minutes de patience et une série de manipulations précises, le tissu est déployé et forme un dessin en camaïeu de bleu.
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Une pièce attenante s’ouvre sur des tables dressées des plus belles couleurs de la Chine. L’exposition « Festin le long de la route de soie » a d’abord été présentée lors de l’Exposition Universelle de Milan en 2015. Après un détour par Venise, elle vient de s'installer à Bruxelles, au centre de l’Europe. Le but du curateur est de permettre aux visiteurs de voyager à travers les époques et les provinces de Chine. Pour lui, l’art culinaire est un langage universel. Tout le monde le comprend. Il n’y a pas besoin de longues explications pour saisir l’utilité des ustensiles. Et pourtant, l’art de la table enseigne énormément sur la culture d’un pays.
L’exposition présente l’art de la table en une série d’objets. Tasses, verres, théières, bols racontent ainsi l’histoire de l’art culinaire chinois, tout en élégance et raffinement. Bois, verre, peinture, fonte et terre, divers matériaux ont été travaillés et sublimés pour créer ces oeuvres d’art à l’usage quotidien. Il est difficile de ne pas remarquer la retenue, un goût certain pour la simplicité et le naturel qui chasse la démesure.
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Crédits : Centre Culturel de Chine
De petites séquences vidéos ponctuent le parcours, expliquant la vie des artisans. Chacun suit ses envies d’une pièce à une autre, voyageant ainsi d’époques en régions, de courants artistiques en spécialités culinaires. Les œuvres cassent l’image stéréotypée des produits « Made in China » qu’on a l’habitude de voir aujourd'hui dans tous les magasins. Ce voyage est proposé jusqu’au 20 juin prochain.
Après les mots, découvrez le reportage tout en vidéo
de nos journalistes.
Une histoire racontée par Tom Denis et Lloyd Poncelet.
Pour plus d'information :
Centre Culturel de Chine
Rue Philippe Le Bon 2, 1000 Bruxelles
CHAPITRE 3
Terres de Chine au coeur de l'Europe
Publié le 9 juin 2017
L’expatriation est devenue un moyen pour les Chinois de découvrir le monde. Vivre dans un autre pays reste un rêve pour certains d’entre eux. Seuls quelques privilégiés ont l’occasion d’en faire une réalité. Xiaoqiu Lin est l’une d’entre eux. Installée à Bruxelles depuis six ans, elle y enseigne le mandarin au Centre culturel de Chine. À travers ses yeux, nous partons à la découverte de cette parenthèse orientale au cœur de la capitale européenne.



Son enfance, Xiaoqiu Lin la passe en Chine. Elle y étudie le mandarin pour devenir professeure. Une fois ses études terminées, elle veut quitter le pays pour découvrir le monde. « C’est une longue histoire. J’ai d’abord vécu une partie de ma vie en Turquie. » Un choc culturel pour cette professeure de chinois. Lorsqu’elle arrive dans le pays, le mandarin, la langue chinoise n’est pas ce que les Turcs veulent apprendre. Là-bas, sa communauté n’est que faiblement représentée. Pourtant, elle décide de rester et de persévérer.
Quelques années plus tard, au détour des allées ensablées de la capitale turque, elle fait une rencontre qui change sa vie, un belge. Le couple décide alors de s’installer en Belgique. C’est avec curiosité qu’elle découvre un pays où sa culture est très implantée. « De nombreux Chinois viennent en Belgique et beaucoup d’entre eux travaillent avec la Commission Européenne. Pourtant, peu de personnes y apprennent le chinois. La langue paraît compliquée au premier abord. » Aujourd’hui, elle enseigne le mandarin à la Commission européenne. C’est une langue internationale, primordiale pour les échanges commerciaux et politiques. « Je n’enseigne pas le chinois comme en Chine. À la Commission je dois aller vite et donner des cours intensifs. Par exemple, j’essaie de donner à mes élèves des métaphores pour qu’ils puissent comprendre au mieux les signes chinois. » Finalement, en 2015, le Centre culturel de Chine ouvre ses portes à Bruxelles et Xiaoqiu Lin décide de venir y enseigner et partager sa langue.
Un morceau de Chine à Bruxelles
Xiaoqiu Lin veut transmettre des bribes de l’histoire et de la culture chinoise. Le Centre culturel où elle donne cours témoigne des relations entre les deux pays. Ce centre, ouvert au public, se trouve à quelques pas de la Commission Européenne. Une localisation toute symbolique, un petit bout de chine au cœur de l’Europe.
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Lancée par le Ministère Chinois de la culture et de la Municipalité de Shanghai, cette initiative a pour but de diffuser la culture chinoise en Belgique. Yan Zhenquan est le directeur du centre, il souhaite « diffuser la culture chinoise sous les principes de Qualité, Popularité, Amitié et Coopération ». Une muraille culturelle chinoise qui a permis au professeure Lin de redécouvrir sa culture et sa langue au terme d’un parcours d’expatriation hors de l’Orient. Une occasion pour elle de comparer sa nouvelle vision des choses lorsqu’elle retournera en Chine.
Donner des cours, c’est redécouvrir sa langue
En Chine, Xiaoqiu Lin avait une manière conventionnelle d’enseigner sa langue. « Là-bas, tout paraît naturel, les nuances sont ancrées dans la culture. Lorsque j’apprenais le chinois à mes élèves, je ne devais pas réfléchir à l’origine du sens d’un signe. » Lorsqu’elle arrive en Belgique, elle doit changer sa vision de l’enseignement : « étudier le chinois pour des Occidentaux peut paraître aussi difficile que d’escalader une montagne ». Ce bouleversement lui a permis de redécouvrir sa langue et sa culture, la regarder sous un nouveau jour. Elle décide alors d’étudier le sens premier des signes.
« Étudier le chinois pour des Occidentaux
peut paraître aussi difficile
que d’escalader une montagne. »
Pour enseigner sa langue aux Européens, elle doit adapter sa méthode. À l’écrit, les mots sont représentés par des dessins appelés « idéogrammes ». À l’oral, ces dessins ont des significations différentes en fonction de la manière de les prononcer et des signes peuvent avoir différentes significations en fonction de leur combinaison. Par exemple, le signe du soleil et de la lune, ensemble, signifient « luminosité ».


C’est en réfléchissant à la meilleure approche d’enseignement que Xiaoqiu Lin s’est rendue compte qu’elle devait aller plus loin : transmettre la culture chinoise aux étudiants. « Pour apprendre le chinois, il faut maîtriser les codes de sa culture. L’un ne va pas sans l’autre. » Un signe ne peut être compris, si la référence culturelle à laquelle il se rattache n’est pas connue.
Pour Xiaoqiu Lin, cette nouvelle méthode a été un choc. « Je me suis rendue compte que je redécouvrais ma propre culture en associant les différents signes chinois à une histoire ou à une représentation culturelle », un moyen mnémotechnique pour faire le lien entre le récit et le signe. « On dit souvent que le chinois est compliqué mais si l’on regarde bien, chaque signe est la visualisation simplifiée d’une chose». En développant cette technique d’apprentissage, la professeure s’est découverte une nouvelle approche plus anthropologique de la Chine mais aussi du monde qui l’entoure.
Le Chinois : facile et positif
Une approche plus culturelle et moins pragmatique facilite l’apprentissage selon Xiaoqiu Lin. « Elle permet de maîtriser les bases du Chinois en 3 mois au lieu de 3 ans. » Dans la salle de classe, des symboles mandarins décorent les murs. Deux élèves écoutent attentivement Xiaoqiu Lin. Pour l’une d’entre elle, cette technique d’apprentissage la motive : « on apprend beaucoup plus vite et surtout on a envie de revenir à chaque fois, on apprend de nouvelles choses sur la mentalité chinoise et le temps passe plus vite ».
Le bonheur est représenté en mandarin
par les dessins de la nourriture, des vêtements et des personnes,
trois éléments indispensables à la réussite.
Un sourire, une bonne humeur constante, tout chez Xiaoqiu Lin respire la bonne humeur. Un état d’esprit qu’elle prône durant ses cours. Selon elle, c’est ce qui fait la beauté de la culture chinoise. Une idée simple … le bonheur, qui est, en mandarin, représenté par les dessins de la nourriture, des vêtements et des personnes, trois éléments indispensables à sa réussite. Contrairement aux idées reçues, la Chine n’est pas un pays rigide. Tout n’est pas uniformisé. La langue en est la preuve.
La diversité aussi s’expatrie
Il y a peu, 17 artistes chinois ont présenté au Centre culturel plus de 68 dessins retraçant les origines de la civilisation chinoise, à l’occasion de l’exposition « Where the dream begins : Creating the World ». Des oeuvres faites d’encre de Chine, de peinture à l’huile, de pastels, de peintures traditionnelles ou d’images numériques. Même, l’opéra chinois, un art très prisé, a trouvé sa place dans la troupe « Opéra Heroes ».
Avant l’ouverture du Centre culturel à Bruxelles, la ville ne possédait aucun lieu dédié à la Chine. Seule Anvers, la ville du diamant, a permis la création d’un quartier chinois. Depuis les années 1970, les rues de la ville flamande se sont transformées progressivement pour devenir le reflet d’une Chine hybride.


China Town à Anvers
L'appellation China Town se mérite. Pour porter ce nom, le quartier doit recevoir la reconnaissance et l’approbation du gouvernement chinois qui veille à ce que les traditions soient respectées. Le quartier anversois l’a finalement obtenu en 2001. Dans le monde, on peut trouver 35 China Town reconnus, éparpillés sur 19 pays : 16 en Asie, 12 en Europe et 7 sur le continent américain. Le plus grand d’entre eux se trouve à San Francisco et compte près de 100 000 habitants sur une superficie de 3,5 km2.
À Bruxelles, ni arche marquant l’entrée d’un quartier chinois, ni de magasins orientaux à perte de vue. Seules deux rues composent ce que l’on appelle plus communément le quartier chinois de Bruxelles. Il se trouve entre la place Sainte-Catherine, la Bourse et les Halles Saint-Géry. Pourtant le terme de quartier asiatique serait plus opportun tant on retrouve des Chinois, des Coréens et des Thaïlandais.


Pavillon chinois de Bruxelles
Il existe d’autres bouts de Chine dans notre pays, qui, tout comme le Centre culturel, promeuvent la culture chinoise. C’est le cas du pavillon chinois avec son musée sur l’extrême-Orient. Ce monument, acheté par le roi Léopold II, date de l’Exposition Universelle de Paris de 1900. Une preuve de plus que la Belgique et la Chine ont, depuis longtemps, tissé des liens culturels forts.
Les lieux de culture chinoise ne cessent de se développer, de s’exporter, de s’offrir à la découverte. Ils sont les témoins toujours plus vivants d’un Empire du Milieu qui s’ouvre au reste du monde. Si ce phénomène, résultat d’une politique volontariste, n’est pas nouveau, il s’est normalisé. Forcé de constater que le caractère exotique se perd et que la culture chinoise a gagné sa place dans le paysage multiculturel belge.
Une histoire racontée par Loic Martin avec Lloyd Poncelet.
CHAPITRE 4
Le Kunju,
ou l’art de raconter la Chine sur scène
Publié le 16 juin 2017
Venu de l'empire du milieu, le Kunju est un art scénique séculaire. Il conte les légendes du folklore chinois à travers le chant et la danse. A l’occasion de la semaine du Patrimoine culturel immatériel chinois, la troupe de Kunju de Zhejiang, une province côtière au sud de Shanghai, se produit à Bruxelles. Mangajo vous invite à suivre ces artistes des coulisses à la scène.
Dans quelques instants, les lumières s'éteindront. Les derniers spectateurs se glissent jusqu'à un siège. Aux murs et au plafond, des lampions rouge et or décorent la salle. Dans l'amphithéatre, l'ambiance est feutrée. Au premier rang, quelques notables de la communauté chinoise ont pris place. Près d'eux, quelques personnes sont armées de leurs appareils photo, prèts à immortaliser la représentation. En remontant la salle, on découvre des Belges. Comme nous, ils ont répondus présents, curieux de découvrir cet opéra chinois ancestral.

Wang Mingquian est le directeur artistique de la troupe. Il entre sur scène pour introduire les performances de ce soir. Habillé simplement, il se saisi du micro, prononce quelques mots dans sa langue natale, puis s'incline pour remercier l'audience avant de s'éclipser derrière les épais rideaux rouges qui cachent les coulisses.
Mais nous ne pouvons pas vous laisser découvrir le Kunju sans vous en dire un peu plus. Avant que les lumières ne s’éteignent et que les performances ne commencent, Wang et Zhou, le chef de la troupe, nous expliquent pourquoi cet art est si particulier. Un exposé recueilli par Virginie Gonçalves de Castro, à écouter en langue originale et en musique.

Ce soir, les comédiens présentent des extraits de quatre pièces traditionnelles. Geng Lü Jie et Bao Yuming sont les premières à entrer sur scène. Elles interprètent « Le Pavillon aux Pivoines ». Dans cette légende, la fille du gouverneur vit recluse, avec sa servante comme seule compagnie. Dans son jardin, elle chante l’arrivée du printemps. Elle s’assoupit et rêve de l’homme parfait dont elle tombe éperdument amoureuse. À son réveil, elle désespère de pas pouvoir vivre cet amour. Cette histoire nous est contée en une quinzaine de minutes grâce à des morceaux choisis.

C'est la langue chinoise qui est bien évidemment utilisée dans le Kunju, même si les dialectes ont aussi leur place. Ainsi, les textes diffèrent parfois du nord au sud de la Chine. Pour suivre l’intrigue, les spectateurs n’ont qu’à tourner la tête et lire les dialogues sur un panneau lumineux. Ces paroles sont transcrites en chinois et traduites en anglais. Des sous-titres bien utiles même pour les sinophones, car l’interprétation est très lyrique, donc difficile à comprendre. Une interprétation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle des artistes d'opéras européens.

L’une des particularités du Kunju est la musique. Un orchestre d’une dizaine de musiciens accompagne les artistes tout au long de la performance. Rares sont les moments réservés à la parole, le chant domine. Le guzheng, sorte de cithare chinoise, l’urheen, le pipa ou luthe chinois, ou bien la flûte de bambou s’accordent aux chants. Ces instruments traditionnels produisent des sons qui invitent au voyage, direction l'Asie.
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Quelques heures avant en coulisses, toute la troupe se réunit en coulisse. Entre quelques vocalises, Geng Lü Jie prépare avec soin sa tenue de scène. Avant toute chose elle réalise son maquillage. La comédienne doit accentuer ses traits féminins : sourcils dessinés et bien noirs, teint blanc, du rose autour des yeux pour signifier l’amour et la loyauté. Une coiffeuse prend ensuite soin de ses cheveux. Sous plusieurs tissus, fixés avec des bandelettes et du ruban adhésif, ses propres cheveux disparaissent. Puis viennent se fixer, une fausse frange, un faux chignon, et des mèches mouillées, collées autour de sont visage, comme pour l'encadrer. Poser les ornements sur ce montage complexe demande beaucoup de dextérité. Il a fallu plus d'une demi-heure pour que sa tête soit prête. Alors, par-dessus son jean, elle enfile son costume, une affaire de quelques minutes. Un technicien fixe son micro, elle est prête à monter sur scène.
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Les broderies sur les costumes et les coiffes des artistes sont toutes faites mains. Car le Kunju est un art complet, et la tradition s'est maintenue jusqu'aux moindres détails. Les ornements répondent à des demandes spécifiques. Ils représentent en général des dragons, des lotus, ou des fleurs. Mais tous les artistes ne portent pas des œuvres raffinées. Les broderies sont plus ou moins sophistiquées, selon la catégorie sociale du personnage qu'ils incarnent.
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Bao Yuming porte la coiffe la plus complexe de la troupe, car elle interprète l'amoureuse dans « Le Pavillon aux Pivoines ». Mais surtout, elle incarne la fille du Gouverneur. Sa coiffe est ornée de broderies, de strass, de fleurs et de pièces en métal émaillées.

L'ensemble des habits de scène répondent aussi à ce critère social. Les premiers rôles portent des costumes en soie, les rôles secondaires des costumes en coton. Tout cela est très codé. Alors quand deux personnages d'une même castes se croisent sur scène, on les différencie par la couleur des tissus. Finalement, l'ensemble des apparats, du maquillage aux souliers, sont bien distincts selon que le personnage soit un homme ou une femme.




Dans le Kunju, il n’est pas rare qu’une femme interprète un personnage masculin sur scène, et inversement. C’est le cas de Mao Wenzia, qui prend le rôle de l'homme rêvé par la fille du gouverneur. Fait courant aussi chez en nous en Europe. On se souvient par exemple, du film « Shakespeare in Love » de John Madden sorti en 1998, qui raconte le théâtre quand les femmes n'avaient pas le droit de fouler les planches. Le travestissement des acteurs s'avère pratique dans de nombreuses circonstances, et montre aussi l'étendu des talents des artistes.
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Comme Xu Ni, qui se prépare entièrement seule, tous les comédiens de Kunju doivent suivre une formation classique. Tout commence dès le plus jeune âge, à 10 ans. A 20 ans, les comédiens formés peuvent enfin monter sur scène devant un public. Le respect de la tradition fait partie intégrante de l'art. En effet, au départ réservé uniquement aux Empereurs, le Kunju s'est ouvert tout en préservant les règles d'origine.



Aux côtés de Li Quiongyago, Xu Ni joue le rôle d’une mère effondrée par le départ de son fils dans le conte « The Story of Washing Gauze », ou l'histoire de la gauge à laver. L’extrait proposé nous montre toute l’étendue dramatique que Xu Ni doit insuffler dans son jeu. Elle chante, danse, mais pleure aussi, tout se mêle sans réellement se montrer, car chaque geste, chaque mouvement de tissu, transportent une valeur symbolique.

Outre les costumes et les chants lyriques, la poésie du Kunju repose aussi sur sa virtualité, en contraste avec le besoin de réalité de l’opéra européen. Wang Mingquian nous explique cela avec l'image de l'eau. Dans une scène où le comédien doit boire dans un verre d’eau, en Europe, le comédien boit, pour de vrai, dans un vrai verre. En Chine, l’artiste mime l’acte avec ses mains. Il n'y a pas ou que très peu d'accessoires sur scène. Les artistes et leurs mouvements sont seuls pour tout raconter.

La troupe de Kunju de Zhejiang tire sa révérence. Pour les organisateurs de cette soirée, l’accueil des Belges réservé à leurs prestations est une satisfaction. Pour continuer à séduire le public occidental, la troupe veut d'ailleurs se lancer dans l'adaptation d'une oeuvre occidentale. Cet été, la comédie musicale « Notre Dame de Paris » sera revue à la sauce Kunju. Une démonstration de leur volonté profonde de mêler l’art oriental et occidental, pour faire connaitre leurs traditions dans un monde où l'hégémonie occidentale laisse peu de place aux traditions venues d'ailleurs.
Pour leur part, les spectateurs belges que nous avons rencontrés ce soir-là sont séduits par le Kunju. Un couple était venu assister avec leurs petits-enfants à la version longue du « Pavillon des Pivoines » la veille. Ils racontent que le spectacle à peine fini, ils sont tout de suite venu réserver leurs places pour la prochaine représentation. Cette récidive en est la preuve, le charme a opéré. Il faut bien le dire, le Kunju vaut le détour. C’est une expérience unique et exotique, mais il reste un art particulier, dont les envolées lyriques ne raviront pas toutes les oreilles.
Une histoire racontée par Aurélie Delvallée et Margot Fellmann
Mise en image par Margot Fellmann
CHAPITRE 5
Quand la Chine investit la Wallonie
Publié le 18 juin 2017
Après la langue, la culture et l'art, place à l'économie. Le dernier chapitre de Portraits de Chine vous emmène à la rencontre d'un projet ambitieux, d'une Chine qui souhaite investir en Europe. Et comme terrain privilégié de cet enjeu, la commune de Ottignies-Louvain-la-Neuve dans le Brabant Wallon. A travers ce projet local, prenez la mesure de l'engouement chinois pour la Wallonie.
Entre l’autoroute E411 et la Nationale 4, sur le territoire de la commune de Louvain-la-Neuve, un terrain est sur le point d’accueillir un énorme projet « made in china ». Les travaux du China-Belgium Technology Center (CBTC) débuteront en août 2017. La première phase des travaux vient de s’achever. La voirie, financée par l’Intercommunale du Brabant wallon, est prête à accueillir le nouveau complexe.
Sur place, seul deux panneaux laissent présager que la Chine s’installe bel et bien en Wallonie. Les idéogrammes chinois côtoient l’anglais dans un exposé laissé aux passants. L’ambition est claire : déplacer un bout d’économie… de la Chine à la Belgique. Les premiers bâtiments sortiront de terre pour la fin de l’année 2018. Cette première phase implique la construction de trois bâtiments pour un total de 33 370m² dédiés aux surfaces polyvalentes de bureaux et aux salles de conférences, 1247m² de surfaces commerciales ayant pour objectif d’héberger des commerces chinois et 7180m² de parkings. Le projet est ambitieux puisqu’à terme, le complexe accueillera à plus de 200 entreprises chinoises et européennes, le tout sur une surface correspondant à quinze terrains de football. Le CBTC est un incubateur d’entreprises qui a pour but de marquer la Belgique de son empreinte, facilitant ainsi les échanges entre l’Europe et la Chine. En effet, le choix de Louvain-la-Neuve pour l’implantation de ce centre d’affaires est stratégique : la proximité de Bruxelles et de ses institutions, l’UCL et son parc scientifique sont les garants d’une visibilité européenne.
A quoi doit ressembler le projet ?

Crédits : Chine Belgium Technology Center

Cédric du Monceau est échevin de la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve en charge de l’urbanisme et des affaires économiques, il partage avec nous sa vision et celle de la ville sur le projet.
MANGAJO : Que représente la venue des investisseurs chinois pour Louvain-la-Neuve ?
Cédric du Monceau : Je dois dire que c’est une fantastique opportunité et en même temps, comme toute opportunité, c’est un défi. La vie c’est toujours regarder les avantages et les inconvénients et aussi savoir prendre les contraintes et les transformer en avantages. Le monde se polarise de plus en plus et la chine est incontournable. La Belgique quant à elle, se trouve entre deux mondes culturels, les Germains et les Latins. Elle est restée très peu connectée avec la Chine.
Le Belge se faufile partout, mais ce n’est pas un impérialiste en tant que tel. On peut avoir des doutes sur le fait que la Chine soit impérialiste ou non et je comprends les inquiétudes. La culture chinoise reste toutefois très intéressante et je félicite la Région wallonne et le partenariat qu’elle a décroché. Les accords se sont conclus après une visite officielle du ministre Marcourt en Chine. Un investisseur souhaitait trouver un lieu en Europe pour implanter une plateforme de mutualisation des intérêts chinois.
Pourquoi ont-ils choisi une ville étudiante, pourquoi Louvain-la-Neuve?
Il ne faut pas se faire d’illusions, ils ne sont pas venus uniquement parce que Louvain-la-Neuve est un « concept extraordinaire ». Ils ont choisi la commune parce qu’elle est en périphérie de Bruxelles, le centre de l’Europe. De plus, elle n’est pas loin de deux aéroports, Zaventem et Charleroi.
Pour moi, c’est un beau projet – certains diront « d’envahissement de l’Europe » – peu importe, d’autres diront : d’échange avec l’Europe. Un échange qui s’incarnait plus tôt dans le « défi américain ». Après les Américains, c’était les Japonais et demain ce sera certainement les Chinois si ce n’est pas déjà le cas aujourd’hui.
Au niveau communal, où en est le projet ?
Le permis du projet est déjà délivré il y a un an, mais le lancement de la construction a pris un peu de retard. La commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et l’UCL ont exigé que les habitants chinois soient logés à trois endroits différents dans Louvain-la-Neuve. Le premier est à l’arrière du théâtre Jean Villar. La dalle piétonne sera ainsi une nouvelle fois élargie. Le second se trouve juste à côté de l’EPHEC, en périphérie du centre. Le troisième se situe un peu en arrière de la future extension de l’Esplanade. Le but, c’est dispersé pour ne pas créer un quartier chinois à part entière. Il est clair que les Chinois ont une identité culturelle très forte, ce ne sera donc pas une mixité totale. Je trouve que ce projet est pour nos jeunes, une idée fantastique. Plutôt que de voyager, de devoir aller en Chine, c’est la Chine qui vient à eux. C’est une rencontre avec l’ouverture sur le monde. Si on ne la fait pas dans une université… où ailleurs ? Je trouve cela très positif, mais c’est un véritable défi administratif et culturel.
Rencontrez-vous une opposition à ces différents projets ?
On rencontre beaucoup d’inquiétudes, c’est normal. Le projet n’est pas petit. On parle en termes de bureau de 110.000 m2 de construction. C’est énorme ! Il y a un hôtel de 160 chambres prévu aux abords du complexe de bureau, de l’autre côté de la nationale 4. Il y aura en plus quelques commerces chinois. Si un « China Town » doit exister, ce sera à cet endroit-là et non dans le centre de Louvain-la-Neuve.
Quel est l’objectif de ce projet ?
C’est de renforcer le pôle économique. Le parc scientifique a une très bonne réputation à l’international. Certaines personnes ont peur qu’ils nous volent nos technologies. De toute façon, avec internet, les savoirs sont partagés. C’est celui qui est le plus rapide sur le marché qui gagne.
Le rachat des brevets est un autre point des accords conclus avec la Chine. Est-ce que c’est un bon moyen pour financer la dette de l’UCL ?
Les Brevets sont dirigés par une agence européenne qui se trouve à Munich. L’UCL ne fait que de déposer des brevets et tant mieux s’ils sont rachetés. Si c’est un Chinois qui l’achète, tant mieux.
Cette notion est ambiguë et c’est pourquoi certaines personnes ont peur pour le savoir belge. N’assistons-nous pas à une fuite des connaissances belges vers la Chine ?
Je ne crois pas. Depuis l’existence d’internet, tout a changé. Prenons l’exemple de Wikipédia. Le fait que cette encyclopédie en ligne a désarçonné les sociétés de la connaissance en créant un réseau participatif. Ce qui est intéressant c’est ce que va faire la jeune génération de ces outils pour créer un nouveau modèle de fonctionnement. Ce nouveau modèle est indispensable, personne ne sait le définir totalement, mais tout le monde sait que quelque chose de nouveau doit naître. C’est en ça que réside le vrai défi pour les années à venir : inscrire cette économie de partage dans la société.
Une fuite de savoir exclue par l’UCL, on parle plutôt d’opportunité formidable. Par voie de communiqué, Vincent Blondel, le recteur de l’UCL, déclare que « le BTC est une opportunité en matière de recherche et d’enseignement. C’est une ouverture supplémentaire vers le monde académique chinois, en particulier, les grandes universités de Wuhan, qui comptent 1 million d’étudiants. Ce CBTC est pour l’UCL un lieu de contacts privilégiés pour mettre en œuvre une dynamique de valorisation de la recherche et des transferts de technologies, à travers d’une collaboration triangulaire entre l’UCL – les universités chinoises – et les entreprises ». Une perspective qui a en effet séduit les investisseurs chinois. « Ce projet intensifiera les échanges entre les étudiants belges et chinois. Cette rencontre entre les deux pays sera très enrichissante ».
Petit focus sur cet enseignement chinois et belge

La politique de la Chine est au développement économique. Pour qu’il se fasse de façon optimale, elle repense ses subsides et les augmente dans sa recherche et dans ses investissements.

Pour les entrepreneurs chinois, l’objectif du CBTC est de permettre à leurs entreprises high-tech de s’inspirer du mode de fonctionnement des entreprises européennes afin de mieux appréhender ce marché tout en développant leurs technologies. Pour les Wallons, l’incubateur favorisera des échanges. Il permettra de côtoyer des entreprises chinoises et facilitera la compréhension et l’accès au marché chinois.
« Ce CBTC constitue un véritable pont entre la Chine et l’Europe, en plein cœur de la Wallonie » a d’ailleurs déclaré Paul Magnette, ministre président de la Wallonie.
D’ici huit ans, ce nouveau centre technologique créera 1600 emplois. Progressivement, le site verra arriver entre 450 et 600 travailleurs chinois. Ce qui représente environ 40% de la masse de travailleurs, le reste (60%) seront belge.
Pour conclure, prenons du recul. En Belgique, la diaspora asiatique représente 7% de la population étrangère, soit 88 000 personnes. Les Chinois en constituent la première communauté, suivie des Indiens.
Une histoire racontée par Tom Denis
Avec les infographies de Lloyd Poncelet et Loic Martin
Portraits de Chine se referme sur ces chiffres. D'un portrait à l'autre, d'une histoire à l'autre, nous sommes partis à la rencontre des ces hommes et ces femmes qui ont choisi de vivre en Belgique. Dans leur valise, ils ont amené leur langue, leur art, et leur argent, pour contribuer à façonner le nouveau visage de notre pays, où les cultures se mêlent et se nourrissent.